Théorie-jouet de Spekkens

note

Spekkens, Robert W. (March 19, 2007). “Evidence for the epistemic view of quantum states: A toy theory”. Physical Review A. 75 (3): 032110 🌐
Leifer, M. S. « Is the Quantum State Real? An Extended Review of ψ-ontology Theorems », Quanta, vol. 3, no 1, p. 67–155 (2014) 🌐
Knee, G. C. « Isolation of the Conceptual Ingredients of Quantum Theory by Toy Theory Comparison », mémoire de Master of Science, Imperial College London, soutenu le 20 septembre 2010 🌐

Spekkens propose en 2007 un modèle jouet  qui reproduit qualitativement la physique d’un qubit à partir d’une théorie classique à laquelle on ajoute un principe limitant la connaissance qu’on peut obtenir sur n’importe quel système. La théorie permet d’éclairer certains phénomènes quantiques sous un autre jour, ce qui pour l’auteur devrait nous inciter à adopter une vision épistémique de l’état quantique. Dans cette vision, l’état quantique devient porteur d’une information incomplète sur une réalité sous-jacente, cachée. Étant donnée que la théorie de Spekkens est locale et que les inégalités de Bell impliquent qu’elle ne peut reproduire toute la mécanique quantique, d’où sa catégorisation en théorie-jouet.

Le système élémentaire

Le plus petit objet de la théorie de Spekkens est appelé système élémentaire. C’est l’objet ontique, l’objet réel de la théorie. Il peut se trouver dans l’un des quatre états ontiques possibles. On peut penser par exemple à un dé tétraédrique dont chaque face modélise un état possible.

On représente un système élémentaire par une rangée de quatre cases (une par état ontique).
Notre « opinion » sur le système, appelée état épistémique, est représentée par une disjonction (ou logique) d’états ontiques. Par exemple $a \lor b$ signifie : « le système est soit dans l’état ontique a, soit dans l’état b ».

Différents degrés de connaissance :

  • ignorance totale :
    $$1\lor2\lor3\lor4$$
  • connaissance partielle :
    $$1\lor2$$
  • connaissance totale :
    $$1$$
La base ontique d’un état épistémique est l’ensemble des états ontiques compatibles avec lui.

Exemple : la base ontique de $1 \lor 2 \lor 3 \lor 4$ est $\{1, 2, 3, 4\}$. 

Pour un système élémentaire, si la base ontique d’un état épistémique contient $n$ états, alors la distribution de probabilité est uniforme sur ces $n$ états. Chaque case colorée porte la probabilité $1/n$. 

Conséquences :
Dans l’état d’ignorance maximale ($1 \lor 2 \lor 3 \lor 4$), chaque case vaut $1/4$.
Dans l’état de connaissance partielle ($1\lor2$), chaque case vaut $1/2$.
Et dans l’état de connaissance parfaite ($1$), la case unique vaut $1$.

Lorsqu’on connaît tout, l’état épistémique coïncide avec l’état ontique, de même qu’une distribution de Dirac traduit la certitude parfaite sur une variable classique. 

Le principe d’équilibre de la connaissance

Jusqu’ici, seuls des phénomènes classiques peuvent être reproduits par ce système. Pour obtenir des effets « quantiques » (comme la non‑commutation), il faut ajouter une contrainte informationnelle qui limite ce que l’on peut savoir sur l’état ontique. C’est précisément ce que fait le principe d’équilibre de la connaissance.

Schématiquement, le principe énonce qu’on ne peut jamais connaître plus de la moitié de l’information complète.

Quelques définitions pour préciser les choses :

Ensemble canonique :
ensemble minimal de questions oui/non suffisantes pour identifier sans ambiguïté l’état ontique d'un système donné.

Pour un système élémentaire dans les états ontiques 1, 2, 3 ou 4, un méthode inefficace pour déterminer l’état serait : $$\left\{ \begin{array}{l} \text{ ‘Est-ce 1 ?’},\\ \text{ ‘Est-ce 2 ?’},\\ \text{ ‘Est-ce 3 ?’},\\ \text{ ‘Est-ce 4 ?’} \end{array}\right\} $$

Alors que l’ensemble canonique parviendrait au même résultat avec seulement deux questions : $$\left\{ \begin{array}{l} \text{ ‘Est-ce 1 ou 2 ?’},\\ \text{ ‘Est-ce 3 ou 4 ?’} \end{array}\right\} $$

Chaque question coupe l’espace des possibles en deux. Pour un système élémentaire à 4 états, 2 questions suffisent donc (pas forcément ces deux là).

La mesure de la connaissance $K$ selon Spekkens est définie comme le nombre maximal de questions aux réponses connues parmi tous les ensembles canoniques.

Et sa mesure de l'ignorance $I$ se définit comme la différence entre la taille de l’ensemble canonique et $K$.

On peut maintenant définir plus proprement le principe d’équilibre des connaissances :

Dans un état de connaissance maximale, à tout instant et pour tout système, $K=I$.

Une conséquence immédiate est que la connaissance maximale est incomplète.
Pour le système élémentaire : $K=I=1$. Une seule question peut être résolue, l’autre reste sans réponse. Cela revient à ne pouvoir écarter que deux états ontiques au maximum et donc en laisser deux possibles.

Il y a $\binom{4}{2}=6$ états possibles différents de connaissance maximale qu’on appellera bits-jouets (“bit” car il ne faut qu’un bit classique pour répondre à la question restée sans réponse dans l’ensemble canonique pour un système élémentaire) :

En ajoutant l’état d’ignorance maximale, on complète l’ensemble des sept états épistémiques autorisés pour un seul système élémentaire.

Ce déficit de connaissance, imposé a priori, suffit à reproduire plusieurs effets clés de la mécanique quantique sans quitter un cadre fondamentalement classique.